Au coin. Cette sentence de l'instituteur me tombe sur la tête et me fait passer dans l'instant du statut d'élève à celui de paria. Je suis isolé de cette classe pour un moment interminable qui m'oblige à rêver debout les yeux ouverts sur ce mur qui murmure un bruit rose où se mélangent en chaos les voix de mes camarades, les crissements des crayons de pierre sur l'ardoise grise, le ronflement du grand poêle Godin que j'ai allumé ce matin, le sifflement des ouvriers portugais sur le chantier voisin.
Le mur devant moi est blanc mais dans la lumière froide de ce jour d'hiver c'est le gris qui domine, dans la tête et dans le coeur aussi. Libéré par un nuage, un rayon de soleil éclaire le vide qui se remplit de variations subtiles aux croisements des différents plans de murs. L'instant magique ne dure que quelques secondes.
Les sons semblent plus faibles mais c'est une illusion. Tout est si immobile si changeant, si figé, si vivant. Je suis à l'intérieur d'une peinture abstraite, à l'intérieur de toutes les peintures. La vue est décuplée et l'imagination m'entraîne vers des couleurs jamais vues. Au retour du nuage, les contraste sont différents mais la magie est toujours là, il suffit de regarder.
Ce jour là, mais je ne le savais pas encore, je suis devenu photographe. Ecrire avec la lumière, comme à Lascaux où, découvrant sur la paroi calcaire au passage de sa torche des ombres fabuleuses, un humain pas si différent de moi, matérialisait sa vision du sacré en esquissant un dessin épousant la forme ou l'ombre de la pierre comme pour révéler l'animal caché en elle. Ce que je tente de faire avec cet autre outil, la photographie. Je ne reproduis pas le réel, je le révèle.
André Le Mauff